La langue est sexiste, libérons la des stéréotypes de sexe !
Publié le 21 Avril 2020
La langue est sexiste, libérons la des stéréotypes de sexe et de genre !
La langue n’est pas neutre et est le produit d’une culture qui perpétue inexorablement les représentations inégalitaires des femmes et des hommes, les stéréotypes, les idées reçues.
1. « le masculin l’emporte sur le féminin »
La grammaire affirme donc l’inégalité. Sur les bancs de l’école on apprend et intériorise que « Le masculin l’emporte sur le féminin ». La formulation, lourde de sens, reste gravée dans les mémoires. C’est ainsi que la hiérarchie entre masculin et féminin est attestée dans les usages, en témoigne le mot « homme » qui englobe l’autre sexe ou genre.
La règle du genre a même largement dépassé la grammaire. En effet, certains mots changent de sens selon qu’ils soient employés au masculin ou au féminin… et le sens le plus noble du mot est souvent associé au masculin. Ainsi, quand un couturier est un créateur reconnu, une couturière est une ouvrière. Parfois cela va plus loin. Au masculin le mot désigne un être humain, et au féminin il désigne un objet. Ainsi, les femmes conductrices de taxi préfèrent se dire « chauffeur » que « chauffeuse » qui n’est qu’un fauteuil.
A ceux qui diront que « ça a toujours été comme ça », l’historienne Eliane Viennot apporte des réponses. Le masculin ne l’a pas toujours emporté sur le féminin. La norme a longtemps été l’accord avec le donneur le plus proche. Je vais citer Jean Racine (XVIIe siècle) :
« Surtout j’ai cru devoir aux larmes, aux prières,
Consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières. » (Athalie, I, 2).
C’est à partir du XVIIe siècle que la noblesse du genre masculin commence à s’affirmer.
2. homme, humain, Homme avec un grand H ?
C’est du même acabit lorsque l’on emploie le mot « homme » (ou « Homme avec un grand H »)» auquel nous pourrions préférer « humain ». Car, dans le dictionnaire un « homme » est à la fois un « Être humain de l’un ou l’autre sexe » et « Être humain mâle » (dictionnaire de l’Académie française). Une femme est un « Être humain défini par ses caractères sexuels qui lui permettent de concevoir et de mettre au monde des enfants », puis une « épouse ». L’homme est ainsi défini en englobant l’autre genre ou sexe.
A l’heure où un grand nombre de langues préfèrent parler de droits de l’humain, le français a une terminologie que j’ose qualifier de dépassée voire erronée. On utilise le mot « homme » en lieu et place de « humain ». Cela ne me convient pas. Certains tentent ici et là d’ajouter cette majuscule à « Homme », histoire d’envoyer quelque poudre aux yeux et tenter de faire croire que l’on n’oublie pas les femmes. Cette majuscule prétendument signe de généralité n’est qu’un leurre.
Il y a énormément de questions que l’on se pose lorsque l’on se penche sur le sujet. Notamment, pourquoi la France n’a pas correctement traduit le nom du texte « Universal declaration of human rights » en 1948 ?
Si aujourd'hui on se demande s’il faut utiliser homme, Homme ou humain c’est parce que le texte de base français, le « Dictionnaire de l’Académie française », fournit dès sa première édition (1694) la définition suivante : « Homme : s. m. Animal raisonnable [par opposition aux autres animaux, les bêtes]. En ce sens, il comprend toute l’espèce humaine, et se dit de tous les deux sexes. »
Pour information, dans ce même dictionnaire, à la rubrique « Femme » on peut lire [âmes sensibles, s’abstenir] : « femelle de l’homme » ou encore « celle qui est ou qui a été mariée ».
Voilà, voilà… Terme dépassé qu’ils disaient ?
Certains vont même jusqu’à justifier cela en disant que le « homo » latin des anthropologues signifierait « homme ». Non. Il signifie « humain ». TOUTE l’espèce humaine.
Au final, ces définitions sur lesquelles on a construit notre usage actuel du mot « homme » s’inscrivent dans un contexte d’accroissement des pouvoirs du masculin, tant dans le domaine lexical que grammatical. Pour rappel, c’est à cette époque que des noms de professions féminins disparaissent (autrice, peintresse, médecine, jugesse, etc.).
En bref, sans extrémisme, je tente de modifier le mot « homme » partout où il s’est introduit à la place du mot « humain ».
A mes enfants, à mes élèves, je veux leur montrer qu’il n’y a pas une partie de l’humanité qui est plus importante qu’une autre. Et ça commence par la terminologie usitée.
« Le genre masculin étant le plus noble, [il] doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble. » (Claude Favre de Vaugelas, 1647)
3. Le cas des insultes
La thématique de l’insulte illustre parfaitement la dévalorisation du féminin. Lorsque les enfants se mettent à répéter ces mots qu’ils ont entendu ici et là, il peut être intéressant d’expliquer l’origine et la signification. Une occasion de faire de la double pédagogie. Prenons le cas de « con » qui désigne le sexe féminin. Gardons en tête qu’un grand nombre d’insultes à l’encontre des femmes portent atteinte à leur moralité.
4. Le masculin valorisé lorsque l’on parle d’une femme
Dans les médias ou les biographies on présente parfois certaines femmes comme étant « la compagne de… » sans que cela ne soit le cas pour leur compagnon… Un autre exemple éloquent est la lecture des avis de décès dans certains journaux. On peut parfois apprendre le décès de « Madame Henri Durant, née Marguerite Dupont » (toute ressemblance avec un cas réel est fortuite). On est en plein dans une logique patriarcale du port et de la transmission de patronyme.
5. Les professions
On le sait, ce qui n’est pas nommé n’existe pas.
Me concernant, je suis autrice. Parfois ce mot interpelle. Je m'explique rapidement sur cette volonté d'employer ce mot là, et non auteure voire auteur.
Historiquement, le mot « autrice » existe depuis plusieurs siècles. Au XVIIè siècle on disait auteur/autrice comme on disait (et dit!) acteur/actrice. C'était l'époque où l'on employait les mots philosophesse, poétesse, autrice, mairesse, capitainesse, médecine, peintresse, et tutti quanti.
Mais, au XVIIè siècle, l'Académie française a supprimé ces mots, pour ne garder que le masculin. Sans doute une façon de chasser l'idée que l'on pouvait associer les femmes à une quelconque influence intellectuelle et culturelle. Pour faire court, c'est l'époque où il a été décidé qu'en langue française « le masculin l'emporte sur le féminin ».
Selon moi, il n'y a pas de petit combat ni de petits actes. Les mots que l'on emploie ont leur importance.
En bref, « autrice » n'est pas un barbarisme. C'est un mot qui existe et qui peut être teinté d'une pointe de justice.
Je suis une femme. J'écris. Je suis autrice. Point.
6. Féminicide, homicide…
On parle de féminicide pour désigner le meurtre d'une femme, d'une fille, en raison du fait qu'elle est une femme. L'homicide est le meurtre d'un humain. Le féminicide est un homicide. C'est très bien que ce terme précis existe pour désigner cet acte atroce. Mais pourquoi n'existe t il pas le pendant pour les hommes? et surtout, pourquoi le féminicide n'est pas un concept juridique reconnu par le droit français? Il n'existe pas dans le code pénal…
7. Quand les expressions s’en mêlent…
Quand les expressions s’y mettent
Des expressions qui, l’air de rien, entretiennent ces stéréotypes :
« En avoir dans le pantalon. »
« Être un garçon manqué. »
« Pleurer comme une fille. »
« Femme au volant, mort au tournant. »
« Il faut souffrir pour être belle. »
« Une fille ne sait ni lire une carte routière ni faire un créneau. »
« Agir en bon père de famille. »
8. La langue orale est aussi sexiste.
En témoigne le « manterrupting » (néologisme que l’on doit à la journaliste Jessica Bennett) qui dénonce le comportement sexiste qui consiste à couper la parole des femmes dans une conversation ou un débat. Ou encore le temps de parole occupé par les hommes tout simplement…
« Tant que les femmes seront oubliées par la grammaire et effacées dans le vocabulaire, tant que le genre féminin sera le genre « marqué » au fer rouge de la soumission, tant qu’il sera enseigné que le genre masculin représente le genre humain à lui tout seul, tant que les femmes elles-mêmes croiront nécessaire de s’abriter derrière des noms de fonction au masculin comme elles le feraient d’une fausse barbe pour exercer le pouvoir, les femmes auront du mal à exister à égalité avec les hommes. »
(Claudie Baudino, Le sexe des mots : un chemin vers l’égalité)
Et si les mots devenaient nos alliés pour construire une culture de l’égalité ?