"La nature reprend ses droits"
Publié le 16 Avril 2020
"La nature reprend ses droits"… on lit et entend ça partout. Il y a quelque chose qui me gênait dans cette phrase. Et c’est tout à l’heure, au contact de la Terre que j’ai mis le doigt sur ce qui me titillait.
Reprendre ses droits présuppose qu’on en a ou qu’on en a eu. Et "avoir des droits" c’est, entre autres, se voir conféré un pouvoir, une possibilité morale d’agir. Alors je me pose une question. Avant de savoir si la nature "reprend ses droits", a-t-elle déjà des droits tout simplement ? Et c’est là que ça coince. L’humain dans toute sa splendeur qui abat sa carte d’anthropomorphisme. On projette un comportement humain sur la nature. J’ai envie de dire que oui la nature a des droits, que c’est une évidence, que l’humain n’est supérieur à rien. Mais je me rends compte que le simple fait de dire que la nature a des droits place l’humain dans une position de toute puissante domination en voyant les choses sous le prisme de l’humain (vous me direz que c’est normal pour des humains…).
Et c’est là tout le paradoxe. Car pour la préserver, l’humain n’a pas d’autres choix que de lui attribuer des droits. En témoignent la Charte de la Terre de 2000 (dont l’idée avait émergé en 1987 et que peu de gens connaissent au passage…) ou encore la Déclaration Universelle des droits de la Terre Mère (2010). Lui attribuer des droits c’est quelque part la mettre dans une case où elle n’a pas lieu d’être car la nature est plurielle et nous en faisons partie intégrante puisque c’est le monde physique… mais ça paraît être un passage obligatoire pour commencer à cadrer juridiquement les choses (je précise, au passage, que les textes existants n’ont pas de caractère contraignant, sauf la constitution équatorienne de mémoire).
Paradoxe quand tu nous tiens.
[Bravo, je vous félicite si vous avez tenu la lecture jusqu’ici]
L’autre chose qui me gêne c’est que beaucoup de personnes s’émerveillent de cette nature qui peut (enfin) respirer du fait de l’effacement de l’humain dans son confinement généralisé. Mais après ? Oui "la nature reprend ses droits". Oui "c’est trop méga cool". Mais l’humain va-t-il en tirer les leçons et agir tant à l’échelle individuelle que collective ? J’ai tellement envie d’y croire… Mais ma raison me dicte de ne pas confondre optimisme et réalisme.
Bref. "La nature reprend ses droits", et c’est tant mieux. Si seulement ça pouvait durer… Et maintenant je sais pourquoi cette expression me gênait. Je vais m’arrêter là car je n’ai pas l’impression d’être claire dans mon propos mais j’avais besoin de poser cette réflexion là.