Vingt siècles de maltraitance chrétienne, le nouvel ouvrage d'Olivier Maurel : présentation et avis
Publié le 5 Avril 2015
Il y a quelques jours, les Editions Encretoile ont édité le dernier ouvrage d'Olivier Maurel (auteur que je ne présente plus dans le milieu de la lutte contre la Violence Educative Ordinaire). Pour le moment, ce livre n'est disponible que sur le site : http://editions-encretoile.fr/shop/index.php…
Quatrième de Couverture
En guise d'entrée en matière, voici comment la 4e de couverture introduit l'ouvrage:
"Avant Jésus, aucun philosophe, aucun penseur, aucun fondateur de religion, n’a parlé des enfants comme il l’a fait, et ne leur a accordé une aussi grande importance. Mais ses paroles sur les enfants sont restées en friche. Ni les disciples, ni les premiers théologiens, ni les membres influents de l’Église au cours de ses vingt siècles d’existence, n’en ont vraiment accepté le sens profond. Sous l’influence de quelques grands noms de l’histoire de l’Eglise, les théologiens ont édifié un véritable barrage idéologique. C’est le dogme du péché originel, qui a interdit l’accès à la signification essentielle des paroles de Jésus et à leur application. Ainsi, l’Église a-t-elle pratiqué dans ses institutions, et parfois conseillé aux parents pendant vingt siècles, des méthodes d’éducation brutales. Les scandales actuels de maltraitance n’ont rien de nouveau. La seule nouveauté, c’est qu’aujourd’hui les victimes parlent. Que l’on soit lié ou non à Jésus par la religion, la redécouverte de ses paroles sur les enfants peut redonner sens et force à son message. Près de deux-mille ans avant Maria Montessori, Célestin Freinet, Janusz Korczak, ses paroles ouvraient des voies à une éducation des enfants respectueuse et bienveillante. Elles sont en harmonie avec les découvertes les plus récentes sur le développement du cerveau et sur les compétences innées des enfants. Ce livre n’est en rien un pamphlet anti-religieux. Il montre seulement qu’aucune religion, si grande fût-elle, ni d’ailleurs aucun agnosticisme ou athéisme, ne peut améliorer le sort de l’humanité, s’ils ne sont pas fondés sur l’amour des enfants et le respect de leurs comportements relationnels. Il montre aussi qu’une sincère attention à l’adresse des enfants passe par la redécouverte de l’enfant que nous avons été."
Le titre
A la lecture du titre de l'ouvrage j'avais été un peu interloquée, me disant qu'il était possible de se retrouver face à un réquisitoire anti-religieux, et cela m'étonnait de l'auteur. Le résumé du livre et sa lecture m'ont prouvé qu'il ne faut jamais s'arrêter à l'a priori de la lecture du titre... Au final je trouve même que c'est un titre juste (non pas provocateur). A ce propos, à la sortie du livre, Olivier Maurel a tenu à éclaircir un peu le choix de ce titre, notamment sur sa page Facebook. Pour faire bref, il annonce que ce titre est fort justifié car l'Eglise, depuis des siècles, a préconisé le fait de battre les enfants afin de rester fidèle à certains proverbes de la Bible qui le recommandaient (exemple : « Qui aime son fils lui prodigue des verges, qui corrige son fils en tirera profit », Si. 30, 1-2). D'autre part, Olivier Maurel écrit "L'Etat du Vatican, en janvier 2014, a même dû être rappelé à l'ordre par le Comité des droits de l'enfant des Nations unies pour n'avoir pas encore interdit les punitions corporelles non seulement à l'égard des quelques dizaines d'enfants du personnel laïc du Vatican, mais des 57 millions d'élèves des établissements catholiques dans le monde. En ne mettant pas en pratique les paroles de Jésus sur les enfants, en continuant à les traiter avec violence, l'Eglise s'est privée d'une partie essentielle de l'enseignement de Jésus, celle qui concernait la base de la formation des personnalités, le respect des prédispositions relationnelles innées des enfants qui sont le véritable fondement de l'humanité. Elle a ainsi formé des adultes dont la nature avait été altérée et durcie dès leur plus jeune âge par la violence de leur éducation. Il n'est pas étonnant dans ces conditions que le christianisme ait été si souvent complice de la violence et de l'oppression et incapable de les réduire. Si les paroles de Jésus sur les enfants avaient été mises en pratique, la face du monde en aurait probablement été changée. Il est temps de relire ces paroles. Une meilleure connaissance du développement des enfants et de leurs compétences innées nous permet de comprendre que le comportement admiratif et respectueux qu'elles recommandent est profondément adapté à la véritable nature des enfants."
La préface
C'est Lytta Basset, philosophe et théologienne protestante suisse qui a préfacé cet ouvrage. Elle y rappelle les chiffres actuels qui montrent la nécessité d'écrire un tel livre : 2 enfants meurent chaque jour sous les coups en France, et encore ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. Elle écrit que "Nous n’avons donc pas là un pamphlet mais un appel vibrant à ouvrir les yeux et les oreilles – appel biblique, justement –, donc un livre qui a quelque chose de prophétique, au sens étymologique, pro-phétique : Olivier Maurel y « parle-en-avant », en précurseur, en un temps où la société et l’Eglise sont encore largement muettes sur le sujet ; ou encore, il « parle à la place » des enfants qui n’ont pas de mots pour dire ce qu’ils subissent ; il communique et interpelle à la manière des prophètes... précisément bibliques, en dénonçant ce qui doit l’être et en ouvrant le chemin des relations véritablement vivantes, c’est-à-dire respectueuses de l’intégrité de chacun."
Détail chapitre après chapitre
15 chapitres organisent cet ouvrage, tantôt thématiques, tantôt chronologiques.
En avant-propos, Olivier Maurel revient sur le fait que les paroles de Jésus au sujet des enfants sont uniques et surtout impensables en leur temps; il part du principe que de ce fait elles n'ont pu être inventées par les Evangélistes. Jésus préconisait un respect du corps et de l'âme des enfants. L'auteur fait le constat que ces paroles "appelaient, et c’est malheureusement ce qui n’a pas été compris, à un renoncement radical à la méthode d’éducation universellement utilisée par les parents et par ceux qui avaient la charge de l’éducation des enfants, pour les maintenir dans ce qu’ils estimaient être le droit chemin : la violence." Olivier Maurel justifie le fait que les autres religions ne soient pas abordées en précisant que ces dernières ont aussi pratiqué la violence.... mais, à leur décharge, il n'y a pas eu de paroles semblables à celles de Jésus prononcées et rapportées dans les textes fondateurs. L'auteur reste positif pour l'avenir et se dit que "Les paroles de Jésus sur les enfants, si on accepte de les entendre dans l’intégralité de leur sens, sont un ferment capable de renouveler fondamentalement le christianisme."
Chapitre I L’éducation dans la société où est né le christianisme
L'auteur aborde ici le contexte de la naissance du christianisme, donc aborde le judaïsme. Il prend appui sur les textes bibliques antérieurs aux Evangiles et fait le constat que les proverbes encouragent à admonester, corriger et battre les enfants (exemple : "Ne refuse pas de corriger l'enfant ! Si tu le frappes avec un bâton, il ne mourra pas" (23, 13)). Ainsi, Olivier Maurel montre que dans la société juive, comme dans toutes les sociétés anciennes, aimer un enfant et le frapper vont de paire, l'un ne va pas sans l'autre. L'évocation du verrouillage des esprits par la violence ainsi que de la contradiction de ce que l'on appelle la règle d'or (ne pas faire aux autres ce que l'on ne voudrait pas pour soi-même) sont aussi très intéressantes à lire.
Chapitre II Les paroles de Jésus sur les enfants
Olivier Maurel commente plusieurs passages de la Bible et aboutit à la conclusion que selon Jésus un enfant a droit au respect et à l'affection et est érigé au rang de modèles. On comprend bien ici la réaction de rejet des disciples qui voient les enfants comme des êtres perturbateurs qui correspond à la pensée de l'époque... et c'est ce point de vue qui a perduré des siècles durant.
Chapitre III Les échos des paroles de Jésus sur les enfants dans les premiers textes chrétiens
Dans les écrits du Nouveau Testament qui sont postérieurs aux récits de Jésus, on ne trouve pas d"échos aux paroles de ce dernier à propos des enfants. "Les premiers théologiens n’ont pas pu se détacher de l’idée qu’ils avaient de l’enfant : un être petit, humble, qui obéit ou doit obéir, qui n’éprouve pas les passions des adultes. Une idée négative de l’enfant tout à fait conforme à celle que fait naître la violence éducative chez les enfants qui l’ont subie sans recours. Mais ils ont été incapables d’y voir la figure de Dieu qui doit imposer accueil, respect, considération, adoration et qui doit interdire de les corriger."
Chapitre IV Saint Augustin et les paroles de Jésus sur les enfants
Olivier Maurel consacre un chapitre entier à ce théologien qui selon lui a eu une influence "calamiteuse" sur la manière de traiter les enfants. Cet homme est l'exemple même d'un enfant meurtri, qui a subi de véritables cruautés... et qui devenu adulte, justifie ces actes barbares.
Chapitre V Les conséquences pour l’Église de la négation des paroles de Jésus sur les enfants
Dogme du pêché originel en lien avec le baptême ainsi que le cas des abus sexuels sont évoqués.
Chapitre VI Comment l’Église a perpétué l’usage des châtiments corporels
Olivier Maurel détaille dans ce chapitre le fait que, après avoir nié les paroles de Jésus, l'Eglise a complètement encouragé la pratique des châtiments corporels sur les enfants. L'auteur aborde aussi les violences morales avec notamment l'inculcation de la crainte de Dieu.
Chapitre VII Comment la Réforme reste fidèle aux vieilles méthodes bibliques
Luther, Calvin, Comenius, Wesley, les Pères pélerins... tout ont encouragé les méthodes de corrections. Olivier Maurel relève seulement deux auteurs protestants qui ont visiblement été à contre courant de ces idées, il s'agit de Jean Sturm (1507-1589) et August Hermann Franke (1663- 1727).
Chapitre VIII Enfin Érasme vint...
Erasme s'insurge contre les châtiments. Olivier Maurel cite quelques passages dans lesquels Erasme évoque des punitions infligées à des enfants. Je vous avoue que certains passages sont durs à lire, voire sont tellement violents qu'on peine à y croire. Et pourtant, l'auteur de cet ouvrage écrit clairement qu'il en a parcouru des documents et autres archives en 10 ans de recherche... et que ces cruautés sont loin d'être une banalité. Elles sont ancrées dans la normalité. Voici un passage que j'ai apprécié: " Quand une société est idéologiquement convaincue que les enfants ont besoin d’être battus, ce qui est, depuis les origines, le cas de la société chrétienne, quand les parents et les enseignants ont été eux-mêmes battus dans leur enfance, la condition des enfants y devient un véritable martyre et c’est sans limites que la cruauté peut s’exercer sur eux sans que personne réagisse. Voilà ce que l’Église, puis les Églises ont non seulement toléré mais encouragé. Elles ont considéré comme d’inspiration divine des proverbes qui ne témoignaient que de la répétition passive de la violence que leurs auteurs avaient eux- mêmes subie. Et elles sont restées sourdes aux paroles pourtant claires de Jésus sur les enfants, paroles qui auraient dû leur faire considérer ces proverbes comme obsolètes, comme ils ont considéré les deux coutumes de la circoncision et de la lapidation." (p. 144-145).
Chapitre IX Dans le sillage d’Érasme
Montaigne, Rabelais, Fénelon, autant d'hommes touchés par les écrits d'Erasme sont passés en revue.
Chapitre X XVIIIe et XIXe siècles
Jean-Jacques Rousseau dont les oeuvres ont été sévèrement jugées par l'Eglise permettent un éveil des esprits... mais aussi les oeuvres littéraires (romans, poèmes...).
Chapitre XI Maria Montessori et l’enfant-messie
Pour Maria Montessori (on sort ici donc du cadre strictement religieux) l'enfant est doté d'une grande richesse et d'une certaine grandeur. Elle est une croyante catholique et sa pensée rejoint celle de Jésus. Elle pense que l'enfant est doté d'une mission divine. "Jamais personne, je crois, avant elle, ne s’était approché aussi près du sens des paroles de Jésus. Mais ce qui est remarquable, c’est qu’elle est arrivée à cette conviction par son propre chemin, par sa pédagogie, par sa propre fréquentation et observation des enfants, et d’enfants qui n’avaient rien d’exceptionnel puisque sa Casa dei bambini se trouvait en plein coeur d’un quartier populaire de Rome." (p. 210)
Chapitre XII Le XXe siècle
Au XXè siècle les punitions corporelles sont interdites dans les établissements d'enseignement public, mais ce n'est pas le cas des établissements religieux. L'auteur fait ici un petit tour de monde et des religions chrétiennes afin d'aborder les violences et leur non interdiction jusqu'à aujourd'hui.
Chapitre XIII Comment les paroles de Jésus sur les enfants s’harmonisent avec l’essentiel de son enseignement
Règle d'or, non jugement, ne pas se fâcher ni insulter, ne pas jeter la pierre, ... voici les paroles de Jésus. Olivier Maurel revient sur le cas de la gifle : "Faut-il rappeler aussi qu’il est arrivé à Jésus de parler de la gifle, ce geste que l’on considère si communément comme un moyen normal de correction et qu’il voit, lui, comme un geste de méchanceté ? Et qu’en dit-il ? Non seulement il ne recommande à aucun moment d’en donner, mais il recommande, quand on en a reçu une, de ne pas la rendre : « Mais moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l'autre » (Mt 5, 39). Ainsi, alors que selon Jésus, il ne faudrait pas riposter à la gifle d’un « méchant », il serait tout à fait normal et chrétien de donner une gifle à un enfant plus faible que nous, que l’on aime et qui nous aime, alors qu’il n’a rien fait d’autre que de se comporter d’une manière qui ne nous convient pas. Et cela au risque de lui apprendre à régler les conflits par la violence. Que peut-on faire de plus contraire au message évangélique ?" (p. 240-241).
Chapitre XIV Les paroles de Jésus et les connaissances actuelles sur les enfants
Les connaissances actuelles permettent de lire les paroles de Jésus avec un regard nouveau. Attachement, empathie, bonté... l'auteur passe en revue plusieurs faits qui aujourd'hui ne sont plus à démontrer.
Chapitre XV Prémices d’un changement
Depuis une dizaine d'années les choses semblent avancer, mais doucement tout de même...
Conclusion
L'auteur ouvre ici sa réflexion. Je pourrais relever moult et moult citations. Je cite un passage simplement : "Quand les parents ont habitué les enfants à exprimer leurs émotions, à connaître les mots pour les dire, ils sont plus portés à s’exprimer par des mots que par des gestes et ~des actes violents et les réconciliations sont plus faciles. Et plus tard, les adultes que deviennent ces enfants sont naturellement plus aptes à jouer dans le corps social le rôle que jouent les anticorps du système immunitaire dans l’organisme : ils repèrent rapidement, les injustices, les violences, les formes d’oppression et sont naturellement portés à les corriger sans violence." (p. 296-297).
Et pour finir
Annexe 1 Les avatars actuels du péché originel
Annexe 2 Par qui est écrit ce livre et à qui est-il destiné ?
C'est un passage dans lequel l'auteur se dévoile un peu...
Annexe 3 Pape François
En bref, un livre qui s'adresse aux chrétiens, mais pas que... qui montre que l’ensemble des Églises chrétiennes ont pratiqué et renforcé la pratique de la violence dans le seul but d'éduquer un enfant, qui montre que la référence aux proverbes bibliques est erronée, que les paroles de Jésus ont soigneusement été passées sous silence. Olivier Maurel nous livre ici un livre étonnant en tous points; étonnant par son sujet (audacieux dirais-je) et son possible rejet (p. 299 "Il est vraisemblable, et je le comprends, que les lecteurs croyants auront du mal à accepter la thèse développée dans ce livre."); étonnant par sa diversité (l'ensemble des Eglises de la chrétienté sont évoquées, on a également une diversité géographique et un champ historique balayé harmonieusement); étonnant par son ambition (il demande par exemple le pardon des Eglises Chrétiennes auprès des enfants).
C'est un livre que j'ai dévoré en à peine 2 jours et qui fait réfléchir, croyant ou non croyant, car il apporte un regard neuf sur le livre le plus vendu au monde. D'autre part il démontre clairement de manière intrinsèque le lien qui existe entre l'éducation reçue et le discours que les hommes ont pu tenir depuis des siècles (de manière globale bien entendu).
Son prix : 22 €, édition papier. 8€ édition électronique en PDF.
S'éveiller et s'épanouir de manière raisonnée
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